Je voudrais vous faire part de quelque chose d'important ...
Je suis issue de ce que l'on appelle aujourd'hui d'un couple mixte . C'est à dire de deux personnes n'ayant pas la même culture mais ayant des valeurs communes ...Je suis née en 1960 à Paris d'une mère allemande et d'un père juif croate ...Surprenant quand on connait l'Histoire ...Ces deux là auraient pu ne jamais se rencontrer ,mon père avait fini dans un camp de concentration vers la fin de la guerre , et alors avoir une mère allemande ...enfin vous voyez le contexte ...
Donc je suis née au moment où la France faisait la Guerre d'Algérie, et mes parents m'ont donné comme troisième prénom celui de Jasmina ....Cette guerre finie, j'entrais à l'école au CP ....Jusque là je grandissais dans le cocon familial et ma langue maternelle est l'allemand ...rien de plus normal pour un enfant d'apprendre la langue de sa mère....Les choses se sont compliquées à ce moment là et j'ai eu droit à ma première "initiation" du racisme et de l'intolérance ...et cela se finissait souvent en bagarre avec des sacs de billes et des bleus...
Pour moi à l'époque ,j'avais comme diraient les jeunes d'aujourd'hui, pas de bol je cumulais ....Blonde , les yeux bleus, parlant le "bosch" (25 seulement après la Seconde Guerre Mondiale)Et pas de bol en plus avec un prénom arabe (5 ans après la Guerre d'Algérie) ...Les enfants sont cruels mais cette cruauté forge le caractère ...Donc j'étais toujours aux derniers rang parce que j'étais aussi la plus grande...Quand je disais que je cumulais....
Les récréations furent le plus souvent solitaire ou je devenais la "tête de bosch", pour la majorité de ma classe , la minorité ne voulant pas se faire punir ,faisant la plupart du temps la sourde oreille et l'aveugle pour ne pas avoir de problème ...J'ai constaté en grandissant que ce schéma n'a jamais changé ...
Et puis un jour est arrivé ma première amie d'école ...je dis bien première ...
Elle avait la peau couleur "pain d'épices", des yeux d'onyx, et surtout deux énormes tresses noires avec des rubans rouges entremêlés et la triste blouse grise que l'on nous forçait à porter...Elle m'arrivait au menton ..Au début elle était timide et réservée...La maitresse nous la présente :" Voici Aïcha Minouche...et comme un couperet elle ajoute : elle est Harki "....
Tout le monde dans la classe savait qui sont les Harkis...les journaux en avaient parlé ....Il y a eu des murmures dans la classe.Et j'ai vite compris le sort qu'allait être fait à Aïcha....
A cette époque le racisme était toléré, il ne faut l'occulté
A cette époque, on n'avait pas de problème avec la Justice si on traitait de "sale nègre" un noir, de "bougnoul"un arabe, de "bosch"une allemande, au contraire cela montrait que l'on défendait sa "patrie"...c'était même encouragé par les parents...
Comme je le disais , Aïcha était petite de taille, mais au lieu de la placée dans les premiers rangs, la maitresse l'a installé à côté de moi, au fond de la classe ....vous savez comme les "cancres" mais nous c'était pas près du poêle ...
Donc voila deux fillettes, totalement étrangères, avec un physique aux antipodes assise sur le même banc ...
On s'est regardé et on s'est souris et depuis nous sommes des amies ...
J'ai appris qui elle était, comment elle vivait , où elle vivait ...Mon père m'avait vaguement expliqué ce qu'était un camp de concentration , jamais pris en cachette ses livres qui en parlaient avec des photos qui m'avaient marquée pour le reste de mes jours...alors quand Aïcha m'a dit qu'elle vivait dans un "camp", mon imagination s'est enflammé, et je trouvais cela injuste ...
La notion d'injustice était révélatrice, ce fut ma deuxième intitiation à la Vie ....Comment une petite fille aux cheveux noirs pouvait elle vivre dans ses conditions ?
Elle avait l'autorisation d'aller à l'école mais ne pouvait pas venir à mes anniversaires et ce jusqu'à mes 15 ans ....Ce n'est pas que ses parents ne voulaient pas , c'est qu'elle ne pouvait pas ...il lui fallait un "laisser-passer" ...je ne comprenais pas à l'époque ...je n'ai eu le droit de visité sa maison qu'à partir de mes 15 ans , c'est à dire en 1975....Toutes les deux nous avons appris à lire, à écrire, à compter ...Toutes les deux nous avons demander à nos mères de nous parler qu'en français comme si nous avions rejeté qui nous étions ...pour pouvoir s'intégrer nous avons occulté une partie de nous même....
Quand j'ai rendu visite pour la première fois à ses parents, sa mère m'a prise dans ses bras comme si j'étais sa propre fille ...Elle m'a regardé longuement, moi la grande blonde aux yeux bleus, et m'a embrasser sur les joues en me disant simplement :"merci"...je n'ai pas saisi de suite le sens de ce merci , mais j'étais contente au fond de moi de je sais pas trop quoi .....
Aïcha des années plus tard, m'a expliqué ...sa peur de l'école, le rejet , le ghetto, le racisme et la non reconnaissance d'un Etat à un peuple qui lui avait rendu service ...
Aujourd'hui Aîcha vit comme moi en couple mixte, et nous avons toutes élevés nos enfants dans leurs doubles cultures...En tant que mère nous avons fait le tri, et nous avons gardé le meilleur pour nos enfants ...
Ainsi ils parlent plusieurs langues, gardent des traditions ancêstrales,et ont un pied dans chaque culture qui leur donnent la force de faire la "différence" ....et d'avoir de la tolérance....Nos enfants sont nés de l'amour et c'est cela le plus important ...Si nous nous étions pas rencontrées ,qui sait quel chemin nous aurions parcouru ?
Nous n'oublierons jamais les goûters partagés, elle avec ses gâteaux sucrés et moi avec bretzels ...les chansons que l'on s'est apprises, moi en allemand et elle en arabe, les jeux et surtout les fous rire ....nous avons eu d'autres amis et la plupart étaient issus ,eux aussi , de l'émigration....Nous avions dans notre groupe des italiens, des espagnols, des portuguais, des vietnamiens avec chacun quelque chose à donner , à partager ... les valeurs de l'amitié ,de l'entre-aide, la tolérance religieuse ...C'est ce qui a fait que nous sommes des êtres humains qui marchons la tête haute, sans honte de nos origines, car nos origines sont nos racines où nous puisons notre force , et si nos enfants ont deux origines cela fait d'eux des enfants deux fois plus forts ....et deux fois plus beaux ...
En 1975 les portes du camp des Harkis se sont ouvertes, et Aïcha a pu être libre de tous ses mouvements ...Celui qui avait ouvert ces portes m'a écrit pour me donner un lien internet d'un reportage ...Je voudrais que vous lecteurs, vous compreniez que dans le pays des Droits de l'Homme et du Citoyen, tous ne furent pas égaux en droit jusqu'en 1975 et que des enfants n'étaient pas libres de faire ce que d'autres enfants avaient le droit de faire ....Que pour ouvrir les portes de la Liberté , il y eu des gens qui ont été obligé d'aller aux extrémités , de passer par dessus la Loi pour se faire entendre et avoir une reconnaissance en tant qu'être humain tout simplement et qui ont refusé d'être parqué comme des animaux ...C'est au nom de la Tolérance entre les Hommes que je fais passer ce message afin que l'on sache et que l'on n'oublie pas ...prenons le meilleur de ce qui est en nous et gardons le précieusement car nous n'avons pas fini d'apprendre à être meilleur pour nous même ,pour nos enfants et les générations futures mais aussi pour notre prochain....
copier coller le lien ci dessous
http://www.dailymotion.com/video/xl0lyn_hocine-le-combat-d-une-vie_news#.UdzvaeRzcuc
Merci à Hocine LOUANCHI pour ce rapportage émouvant
commenter cet article …